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_"Légende" by
Lorenzo De Angelis
Alors que j’étais en résidence pour le projet, je me suis attelé, comme beaucoup, comme rarement pour moi, à la publication quotidienne sur les réseau sociaux, d’une image et une phrase sur le projet en cours… j’ai écris ce texte en réaction aux informations que me renvoyait mon profil.
Le texte met en évidence la confrontation entre l’adversité rencontrée lors de toute production artistique et la vulnérabilité de celui ou celle qui l’entreprend, la production d’informations officielles et le ressenti intime, la distance entre la supposée vie de rêve des artistes et leur réalité… C’est aussi une tentative de partager avec un public ce qui lui est généralement caché.
Légende by Profil Facebook _Lorenzo De Angelis / Juillet 2021
Je ne joue pas dans le prestigieux festival d’Avignon…
Mais j'espère que vous pourrez m'aimer quand même.
Je n'ai pas de super articles dans le journal…
Mais je suis moi-même très critique. Et je me sens très actuel.
Je ne suis jamais allé à New York…
Mais je crois que j'en ai rien à foutre.
Je n’ai pas de bonne nouvelles, ou de promotion
spectaculaire et valorisantes à vous annoncer...
Mais tous les jours, comme je peux, j’essaye de faire du bien, du bon, du beau, au mieux. Même si je dois reconnaître
que ça rarement… ça ne me suffit pas.
Je viens d'essuyer mon septième refus de
soutien pour ce projet…
Mais je pense quand-même que mon travail est bon.
Je me sens terriblement seul…
Mais je sais que je ne suis pas le seul.
Je me considère souvent comme un looser…
Mais je suis fier de tous les risques que j'ai pris.
Comme beaucoup, par manque de reconnaissance
j’ai parfois envie de me jeter à la poubelle…
Mais je me souviens qu'il y a des gens qui m'aiment... je leur fais confiance, je les laisse décider pour moi.
Dans le milieu, je suis ce qu'on appelle un émergeant…
Mais j'ai plutôt la sensation d'être loin sous la surface. Je suis peut-être une sirène... ou une algue... une bouteille à la mer... un détritus à la dérive… un monstre des abysses.
Je sais qu'il ne faut pas s'afficher
comme un looser, qu'il ne faut pas se "griller"…
Mais comme vous l'avez sûrement compris, ça ne changerait pas grand-chose pour moi.
Je sais que je suis en concurrence avec
mes collègues, mes alliés. Dans un même sentiment,
il m’arrive d’être envieux et contents pour eux...
Mais j’ai souvent fait pour eux ce que je n’arrive pas à faire pour moi-même et ce que je n’arrive à demander aux
autres.
Je voudrais avoir du succès...
Mais je dois bien avouer que ce succès ne serait pas une fin en soi… seulement le moyen de pouvoir travailler… plus... mieux… plus facilement... c’est un peu égoïste.
J’en ai marre de me plaindre...
Mais en même temps, j’ai l’impression que ça fait parti de mon travail ; c’est presque un gage d’exigence.
J’aurais besoin de succès, aussi pour être rassuré…
Mais il y a quelque chose dans les rouages du succès qui me rebute, une machinerie à laquelle je refuse malgré moi de participer. Tan pis pour moi… tout le monde joue le
jeu, qu’est-ce tu crois ?
Si jamais j’ai du succès avec ce que je suis entrain
de vous raconter, c’est que j’aurais un peu vendu
mon âme au diable, ou que l’institution aura trouvé
le moyen, comme souvent, d’incorporer l’élément
critique… c’est une bonne publicité et ça les lave de
tout ce qu’on leur reproche dans la critique qu’ils
hébergent...
Mais je crois que si je continue à penser comme ça je suis foutu. Non non non, l’institution est mon amie. Oui oui oui, je suis un acteur de la culture.
Je n’ai jamais couché pour réussir…
Mais des fois j’aurais bien aimé… pas seulement pour réussir.
J’ai eu envie de changer de métier
depuis que je l’ai commencé…
Mais je ne trouve rien qui puisse m’offrir une opportunité de m’investir autant, physiquement, politiquement,
intellectuellement, poétiquement, sensuellement…
Je m’étais inscrit à un CAP cuisine…
Mais lors de la remise de dossier, la formatrice m’a prévenue que tout le monde allait me traiter de petit pédé. En soi
ça ne me dérangeait pas, mais j’avais déjà vécu cela à l’adolescence… j’avais simplement envie de nouveauté.
Je suis peut-être un cuisinier frustré… ou un
homosexuel manqué.
J’ai la chance d’être artiste…
Mais je suis quand-même un artiste frustré… ce qui ne m’empêche pas de tirer mes plus grandes jouissances
de mon métier.
Je sais qu’il ne faut pas parler de ses douleurs,
c’est obscène et soi-disant improductif…
Mais je pense que la douleur vient surtout de devoir taire et cacher ce qui nous gène, nous blesse ou nous pose
question.
Des fois je pense j’aurais voulu ne pas connaître
la danse, faire un autre métier, moins exigent…
Mais je sais que je n’avais pas le choix. En réalité, même si personne ne m’a forcé, je n’ai jamais choisi.
Je suis facilement en représentation dans la vie…
par timidité et par goût…
Mais quand je suis au plateau, je peux me libérer de tout ça. Je travaille, c’est tout.
Je remercie chaque personne qui est ici.
Votre présence me touche plus
que vous ne pouvez le croire...
Mais j’espère que vous m’êtes aussi un peu reconnaissant de me livrer à cet exercice pour vous.
Je me demande si vous n’êtes pas
en train de vous ennuyer…
Mais en même temps, j’aime bien m’ennuyer… alors j’espère aussi que vous trouvez la place de vous ennuyer.
J’aimerais bien que ce projet et ce moment,
me fasse et nous fasse du bien...
Mais… rien.